Entretien avec Sulaiman Jalloh, docteur en médecine en Sierra Leone

Sulaiman Jalloh, médecin en Sierra Leone, a récemment rejoint IDDO pour effectuer un stage de recherche. Dans cet entretien, il nous parle de sa carrière, de son vécu au cours de l’épidémie d’Ebola 2014-16 et nous fait part de ses réflexions sur la façon dont la recherche future devrait être priorisée.

Sulaiman Jalloh

Quel a été votre parcours avant votre stage à IDDO ?

Je suis diplômé de la seule école de médecine de la Sierra Leone et depuis, j'ai travaillé dans presque tous les hôpitaux de campagne nationaux. Pour terminer ses études de médecine, il est obligatoire de travailler dans toutes les disciplines majeures, ce qui prend deux ans environ. Vous travaillez sous la supervision de médecins expérimentés avant de devenir vous-même un médecin qualifié, capable de s’occuper seul des patients.

Dans le cadre de mon diplôme de doctorat, j'ai réalisé une étude sur l'utilisation des téléphones portables et comment ils peuvent être utilisés pour améliorer l'accès aux soins médicaux, ce qui, en Sierra Leone, n'est pas toujours aussi facile qu’au Royaume-Uni. Dans les régions isolées, les établissements de santé sont souvent éloignés ce qui peut en diminuer l'accessibilité, en particulier pour des groupes tels que les femmes enceintes. Nous avons recherché les moyens d'améliorer cela grâce à l'utilisation de smartphones, que possèdent près de 90 % des agents de santé. Une des actions consistait à créer un réseau permettant aux agents de santé de s’appeler entre eux gratuitement. Dans les districts où cela a été mis en place, l’accès aux soins a été facilité et accéléré.

 

Pourquoi avez-vous fait une demande de stage et qu'attendez-vous de ce stage ?

Je recherchais une occasion d'acquérir plus de connaissances. Je m'intéresse à la recherche, ce qui fait grandement défaut en Sierra Leone ; j’espère acquérir des compétences de recherche et bâtir des réseaux que je pourrais exploités quand je rentrerai chez moi.


Quel est votre travail à IDDO ?

J’étudie la façon dont les chercheurs ont précédemment rapporté les résultats cliniques, tels que les signes et symptômes, des patients atteints d'infections émergentes et s'il y a eu des complications. Les chercheurs ont utilisé une multitude de façons différentes de présenter leurs résultats, nous essayons d'unifier cela et de décrire les résultats d'une façon plus standardisée. Cela permettra de mieux caractériser l'évolution de la maladie et c’est important pour la définition de résultats précis essentiels pour la recherche future.

 

Votre travail sera axé sur la plate-forme Ebola d’IDDO, quelle est votre expérience passée avec la maladie ?

Au cours de l'épidémie de 2014-16, j'étais médecin à l'hôpital national pédiatrique de recours. Le nombre de cas de maladie à virus Ebola y a été le plus élevé dans tout le pays. J'ai travaillé dans le centre de rétention, là où tous les patients avec maladie à virus Ebola suspectée étaient admis. Si le test sanguin d’un patient était positif, le patient était alors envoyé dans un autre établissement. Mais cela prenait beaucoup de temps, et étant donné le nombre considérable de patients, nous avons souvent été à pleine capacité et avons dû retenir certains des cas confirmés : nous avons été à la fois un centre de rétention et un centre de traitement.

J'ai eu le privilège d'être l'un des rares médecins formés au début de l'épidémie ; en tant que chef clinique du centre de rétention, j’ai pu examiner les patients de la zone rouge (cas confirmés) et les cas présumés. J'ai également supervisé le personnel – médecins, infirmières et autres collègues en première ligne. Notre établissement a eu un nombre de cas très élevé en raison d'une initiative de santé qui, depuis 2010, permet aux femmes enceintes, mères allaitantes et enfants de moins de cinq ans de recevoir gratuitement des soins.


Dans quelle mesure le fonctionnement quotidien normal est-il impacté au cours d'une épidémie ?

Le protocole est très différent et le rythme de travail devient rapidement effréné. Nous avons dû porter des équipements de protection individuelle complète pendant parfois deux heures de suite en fonction de la charge de travail. Apprendre que de nouvelles personnes étaient infectées était effrayant, sans parler du risque de contamination.


Quelles ont été les principales personnes avec lesquelles vous avez travaillé au cours de l'épidémie ?

Tout notre travail a été fait sous la direction et la coordination du ministre de la santé et de l'assainissement de la Sierra Leone dans le cadre d'un effort international – nous avons travaillé avec des collègues d'organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales et avec les gouvernements eux-mêmes. J'ai beaucoup appris durant l’épidémie et j’ai acquis une vaste expérience en très peu de temps, en particulier en tant que chef clinique parce que j'ai été impliqué dans la plupart des discussions.

Tout notre travail a été mené sous la direction et la coordination du ministre de la santé et de l'assainissement de la Sierra Leone dans le cadre d'un effort international – nous avons travaillé avec de nombreux partenaires locaux et internationaux dont deux ONG. J'ai beaucoup appris durant l’épidémie et j’ai acquis une vaste expérience en très peu de temps. J'ai été impliqué dans la plupart des discussions – cela a été un excellent processus d'apprentissage pour moi.


Quelle serait la chose que vous feriez différemment en cas de nouvelle flambée épidémique ?

À mon avis, beaucoup de choses devraient être faites différemment. En tant que médecin, je pense que la réponse à l'épidémie a été très lente ; pour moi, un seul cas d'Ebola est suffisant pour déclarer une flambée épidémique et susciter une intervention. Le début de l'épidémie a été très difficile parce que la gravité de la situation a été sous-estimée, la maladie s'est répandue très rapidement. Lorsqu’une flambée épidémique type Ebola touche un pays dont les infrastructures de santé publique sont déficientes et qui vient d’être affaibli par un conflit civil, la maladie se propage facilement et rapidement.

 

Pourquoi pensez-vous que la plate-forme de données Ebola d’IDDO est importante pour la recherche sur la maladie à virus Ebola ?

Je pense que la plate-forme d'IDDO est une bonne initiative qui pourrait se révéler très utile pour toute la communauté de recherche, en particulier pour des pays comme la Sierra Leone, la Guinée et d'autres en Afrique de l'Ouest. Les travaux de la plate-forme visant à améliorer les connaissances et renforcer les capacités offrent de belles opportunités aux pays dont la capacité de recherche est faible. Je crois vraiment que les gens profiteront de cette plate-forme pour accéder aux données et les utiliser dans leurs propres travaux de recherche. 

 

Quelles sont d’après vous les priorités en matière de recherche sur la maladie à virus Ebola ?

La recherche sur les traitements est essentielle, ainsi qu'une meilleure prise en compte des aspects sociaux de la maladie. Il faut des traitements de toute urgence mais aussi plus de recherche sur certaines choses toutes simples. Il y a beaucoup de choses que nous ne savions pas durant l'épidémie d'Ebola, en particulier concernant l'utilisation de certains types de médicaments comme les antiémétiques. Il y a eu des résultats positifs pour certains d'entre eux et leur potentiel doit être pleinement examiné. Nous espérons que la plate-forme de données Ebola pourra nous aider à répondre à certaines de ces questions.

Il est également très important de s'attaquer à la dimension sociale de la maladie à virus Ebola : les aspects politiques et sociaux ont certes contribué à la propagation du virus Ebola, mais ils ont également permis d’en atténuer les dégâts. Il est essentiel d’en comprendre toutes les nuances pour pouvoir le mettre à profit dans le cas d'une autre flambée épidémique potentielle. Nous savons que dans des zones qui n'ont jamais reçu de ressources ou d'aide, il y a eu des cas où les gens ont survécu. Comprendre comment cela s'est produit est crucial.

 

Qu'espérez-vous réaliser professionnellement dans les années à venir ?

Travailler durant l'épidémie d'Ebola a été une expérience difficile et dévastatrice, mais cela m’a donné un autre éclairage et m’a permis de travailler avec de nombreux partenaires différents. J'ai aussi développé une passion pour la santé mondiale et la recherche. Bon nombre des défis auxquels nous sommes confrontés en Sierra Leone pourraient être résolus par une approche de santé publique, plutôt que par les soins apportés aux patients.

J'espère que durant mon stage à IDDO, je pourrais accomplir un maximum de travaux de recherche. Durant l'épidémie d'Ebola, j'ai perdu de nombreux collègues, morts inutilement en raison de l’absence de mesures adéquates de prévention des infections et à cause de systèmes de santé publique défaillants. J'ai vu beaucoup d'enfants mourir de maladies évitables, qui auraient pu être traitées au moyen de mesures de santé publique. Mon ambition est de travailler dans un institut de recherche où je pourrais contribuer à l'élaboration de politiques plus efficaces et pratiques.